Après la débacle des armées napoléoniennes relatées dans «Le conscrit de 1813», les armées coalisées apparaissent en France. Le sabotier Hullin et sa cousine Catherine Lefèvre suscitent chez les montagnards un mouvement de résistance qui contribue pendant un temps à arrêter l'ennemi. La résistance à l'oppresseur s'organise dans les Vosges, où les armées ont plus de mal à passer. Mais le mouvement échoue à cause du fou Yégof, qui prédit depuis trente ans le triomphe des hordes germaniques.
Extrait : Outre cette affection naturelle, le brave homme en avait encore d’autres : il aimait surtout sa cousine, la vieille fermière du Bois-de-Chênes, Catherine Lefèvre, et son fils Gaspard, enlevé par la conscription de cette année, un beau garçon fiancé à Louise, et dont toute la famille attendait le retour à la fin de la campagne.
Hullin se rappelait toujours avec enthousiasme ses campagnes de Sambre-et-Meuse, d’Italie et d’Égypte. Il y pensait souvent, et parfois, le soir, après le travail, il se rendait à la scierie du Valtin, cette sombre usine formée de troncs d’arbres encore revêtus de leur écorce, et que vous apercevez là-bas au fond de la gorge. Il s’asseyait au milieu des bûcherons, des charbonniers, des schlitteurs, en face du grand feu de sciure, et tandis que la roue pesante tournait, que l’écluse tonnait et que la scie grinçait, lui, le coude sur le genou, la pipe aux lèvres, il leur parlait de Hoche, de Kléber, et finalement du général Bonaparte, qu’il avait vu cent fois, et dont il peignait la figure maigre, les yeux perçants, le profil d’aigle, comme s’il eût été présent.
Tel était Jean-Claude Hullin.
C’était un homme de la vieille souche gauloise, aimant les aventures extraordinaires, les entreprises héroïques, mais cloué au travail par le sentiment du devoir depuis le jour de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre.
Quant à Louise, la fille des heimathslôs, c’était une créature svelte, légère, les mains longues et délicates, les yeux d’un bleu d’azur si tendre qu’ils vous allaient jusqu’au fond de l’âme, le teint d’une blancheur de neige, les cheveux d’un blond paille, semblables à de la soie, les épaules inclinées comme celles d’une vierge en prière. Son naïf sourire, son front rêveur, enfin toute sa personne rappelait le vieux lied du minnesinger Erhart, lorsqu’il dit : « J’ai vu passer un rayon de lumière, mes yeux en sont encore éblouis… Était-ce un regard de la lune à travers le feuillage ?… Était-ce un sourire de l’aurore au fond des bois ? – Non… c’était la belle Édith, mon amour, qui passait… Je l’ai vue, et mes yeux en sont encore éblouis. »
Louise n’aimait que les champs, les jardins et les fleurs. Au printemps, les premières notes de l’alouette lui faisaient répandre des larmes d’attendrissement. Elle allait voir naître les bluets et l’aubépine derrière les buissons de la côte ; elle guettait le retour des hirondelles au coin des fenêtres de la mansarde. C’était toujours la fille des heimathslôs errants et vagabonds, seulement un peu moins sauvage. Hullin lui pardonnait tout ; il comprenait sa nature et lui disait parfois en riant :
Extrait : Outre cette affection naturelle, le brave homme en avait encore d’autres : il aimait surtout sa cousine, la vieille fermière du Bois-de-Chênes, Catherine Lefèvre, et son fils Gaspard, enlevé par la conscription de cette année, un beau garçon fiancé à Louise, et dont toute la famille attendait le retour à la fin de la campagne.
Hullin se rappelait toujours avec enthousiasme ses campagnes de Sambre-et-Meuse, d’Italie et d’Égypte. Il y pensait souvent, et parfois, le soir, après le travail, il se rendait à la scierie du Valtin, cette sombre usine formée de troncs d’arbres encore revêtus de leur écorce, et que vous apercevez là-bas au fond de la gorge. Il s’asseyait au milieu des bûcherons, des charbonniers, des schlitteurs, en face du grand feu de sciure, et tandis que la roue pesante tournait, que l’écluse tonnait et que la scie grinçait, lui, le coude sur le genou, la pipe aux lèvres, il leur parlait de Hoche, de Kléber, et finalement du général Bonaparte, qu’il avait vu cent fois, et dont il peignait la figure maigre, les yeux perçants, le profil d’aigle, comme s’il eût été présent.
Tel était Jean-Claude Hullin.
C’était un homme de la vieille souche gauloise, aimant les aventures extraordinaires, les entreprises héroïques, mais cloué au travail par le sentiment du devoir depuis le jour de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre.
Quant à Louise, la fille des heimathslôs, c’était une créature svelte, légère, les mains longues et délicates, les yeux d’un bleu d’azur si tendre qu’ils vous allaient jusqu’au fond de l’âme, le teint d’une blancheur de neige, les cheveux d’un blond paille, semblables à de la soie, les épaules inclinées comme celles d’une vierge en prière. Son naïf sourire, son front rêveur, enfin toute sa personne rappelait le vieux lied du minnesinger Erhart, lorsqu’il dit : « J’ai vu passer un rayon de lumière, mes yeux en sont encore éblouis… Était-ce un regard de la lune à travers le feuillage ?… Était-ce un sourire de l’aurore au fond des bois ? – Non… c’était la belle Édith, mon amour, qui passait… Je l’ai vue, et mes yeux en sont encore éblouis. »
Louise n’aimait que les champs, les jardins et les fleurs. Au printemps, les premières notes de l’alouette lui faisaient répandre des larmes d’attendrissement. Elle allait voir naître les bluets et l’aubépine derrière les buissons de la côte ; elle guettait le retour des hirondelles au coin des fenêtres de la mansarde. C’était toujours la fille des heimathslôs errants et vagabonds, seulement un peu moins sauvage. Hullin lui pardonnait tout ; il comprenait sa nature et lui disait parfois en riant :
« Ma pauvre Louise, avec le butin que tu nous apportes, – tes belles gerbes de fleurs et d’épis dorés, – nous mourrions de faim dans trois jours ! »
Alors elle lui souriait si tendrement et l’embrassait de si bon cœur, qu’il se remettait à l’ouvrage en disant :
« Bah ! qu’ai-je besoin de gronder ? Elle a raison, elle aime le soleil… Gaspard travaillera pour deux, il aura du bonheur pour quatre… Je ne le plains pas, au contraire… Des femmes qui travaillent, on en trouve assez, et ça ne les rend pas plus belles ; mais des femmes qui aiment ! quelle chance d’en rencontrer une, quelle chance ! »
L’Invasion ou le Fou Yégof - Erckmann-Chatrian (livre audio) | @ebookaudio
Alors elle lui souriait si tendrement et l’embrassait de si bon cœur, qu’il se remettait à l’ouvrage en disant :
« Bah ! qu’ai-je besoin de gronder ? Elle a raison, elle aime le soleil… Gaspard travaillera pour deux, il aura du bonheur pour quatre… Je ne le plains pas, au contraire… Des femmes qui travaillent, on en trouve assez, et ça ne les rend pas plus belles ; mais des femmes qui aiment ! quelle chance d’en rencontrer une, quelle chance ! »

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