«Moi, je suis un homme du peuple, et j'écris pour le peuple. Je raconte ce qui s'est passé sous mes yeux.J'ai vu l'ancien régime avec ses lettres de cachet, son gouvernement du bon plaisir, sa dîme, ses corvées, ses jurandes, ses barrières, ses douanes intérieures, ses capucins crasseux mendiant de porte en porte, ses privilèges abominables, sa noblesse et son clergé, qui possédaient à eux seuls les deux tiers du territoire de la France! J'ai vu les états-généraux de 1789 et l'émigration, l'invasion des Prussiens et des Autrichiens, et la patrie en danger, la guerre civile, la Terreur, la levée en masse! enfin toutes ces choses grandes et terribles, qui étonneront les hommes jusqu'à la fin des siècles.C'est donc l'histoire de vos grands-pères, à vous tous, bourgeois, ouvriers, soldats et paysans, que je raconte, l'histoire de ces patriotes courageux qui ont renversé les bastilles, détruit les privilèges, aboli la noblesse, proclamé les Droits de l'homme, fondé l'égalité des citoyens devant la loi sur des bases inébranlables, et bousculé tous les rois de l'Europe, qui voulaient nous remettre la corde au cou.»
Extrait : Lorsque ces nouvelles arrivèrent au pays, la disette était encore si grande, que les pauvres vivaient de l’herbe des champs, en la faisant bouillir avec un peu de sel. Par bonheur le bois ne manquait pas ; l’orage montait : les gardes de monseigneur le cardinal-évêque restaient tranquillement chez eux, pour ne pas rencontrer les délinquants. Oui, c’était terrible !… terrible pour tout le monde, mais principalement pour les employés du fisc, pour les justiciers et tous ceux qui vivaient de l’argent du roi. Ces gens graves, prévôts, conseillers, syndics, tabellions, procureurs, de père en fils, se trouvaient comme logés dans une de ces vieilles maisons de Saverne, toutes vermoulues et décrépites, de véritables nids à rats, qui durent depuis des siècles et qui tomberont aux premiers coups de pioche. Ils le savaient, ils sentaient que cela menaçait ruine, et vous regardaient du coin de l’œil, d’un air inquiet ; ils oubliaient de poudrer leurs perruques et ne venaient plus danser leurs menuets au Tivoli.
Les nouvelles de Versailles se répandaient jusque dans les derniers villages. On attendait encore quelque chose, personne n’aurait pu dire quoi ! Le bruit courait que nos députés étaient entourés de soldats ; qu’on voulait leur faire peur, ou peut-être les massacrer. Ceux qui passaient à l’auberge des Trois-Pigeons ne parlaient plus que de cela. Maître Jean s’écriait :
Extrait : Lorsque ces nouvelles arrivèrent au pays, la disette était encore si grande, que les pauvres vivaient de l’herbe des champs, en la faisant bouillir avec un peu de sel. Par bonheur le bois ne manquait pas ; l’orage montait : les gardes de monseigneur le cardinal-évêque restaient tranquillement chez eux, pour ne pas rencontrer les délinquants. Oui, c’était terrible !… terrible pour tout le monde, mais principalement pour les employés du fisc, pour les justiciers et tous ceux qui vivaient de l’argent du roi. Ces gens graves, prévôts, conseillers, syndics, tabellions, procureurs, de père en fils, se trouvaient comme logés dans une de ces vieilles maisons de Saverne, toutes vermoulues et décrépites, de véritables nids à rats, qui durent depuis des siècles et qui tomberont aux premiers coups de pioche. Ils le savaient, ils sentaient que cela menaçait ruine, et vous regardaient du coin de l’œil, d’un air inquiet ; ils oubliaient de poudrer leurs perruques et ne venaient plus danser leurs menuets au Tivoli.
Les nouvelles de Versailles se répandaient jusque dans les derniers villages. On attendait encore quelque chose, personne n’aurait pu dire quoi ! Le bruit courait que nos députés étaient entourés de soldats ; qu’on voulait leur faire peur, ou peut-être les massacrer. Ceux qui passaient à l’auberge des Trois-Pigeons ne parlaient plus que de cela. Maître Jean s’écriait :
— À quoi pensez-vous ? Est-ce que notre bon roi est capable de commettre des abominations ? Est-ce qu’il n’a pas convoqué lui-même des députés de son peuple, pour connaître nos besoins et faire à tous notre bonheur ? Ôtez-vous donc ces idées de la tête !
Les autres, du Harberg ou de Dagsbourg, le poing sur la table, ne répondaient pas ; ils s’en allaient pensifs, et maître Jean disait :
— Dieu veuille que la reine et le comte d’Artois n’essayent pas de faire un mauvais coup, car ceux qui n’ont plus rien à perdre ont tout à gagner ; et si la bataille commence, personne de nous n’en verra la fin.
Histoire d'un paysan II - Erckmann-Chatrian (livre audio) | @ebookaudio
Les autres, du Harberg ou de Dagsbourg, le poing sur la table, ne répondaient pas ; ils s’en allaient pensifs, et maître Jean disait :
— Dieu veuille que la reine et le comte d’Artois n’essayent pas de faire un mauvais coup, car ceux qui n’ont plus rien à perdre ont tout à gagner ; et si la bataille commence, personne de nous n’en verra la fin.

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