«Moi, je suis un homme du peuple, et j'écris pour le peuple. Je raconte ce qui s'est passé sous mes yeux.J'ai vu l'ancien régime avec ses lettres de cachet, son gouvernement du bon plaisir, sa dîme, ses corvées, ses jurandes, ses barrières, ses douanes intérieures, ses capucins crasseux mendiant de porte en porte, ses privilèges abominables, sa noblesse et son clergé, qui possédaient à eux seuls les deux tiers du territoire de la France! J'ai vu les états-généraux de 1789 et l'émigration, l'invasion des Prussiens et des Autrichiens, et la patrie en danger, la guerre civile, la Terreur, la levée en masse! enfin toutes ces choses grandes et terribles, qui étonneront les hommes jusqu'à la fin des siècles.C'est donc l'histoire de vos grands-pères, à vous tous, bourgeois, ouvriers, soldats et paysans, que je raconte, l'histoire de ces patriotes courageux qui ont renversé les bastilles, détruit les privilèges, aboli la noblesse, proclamé les Droits de l'homme, fondé l'égalité des citoyens devant la loi sur des bases inébranlables, et bousculé tous les rois de l'Europe, qui voulaient nous remettre la corde au cou.»
Extrait : Et Phalsbourg avait un haut passage, ce qui veut dire que chaque chariot de marchandises, comme drap, laine, ou autres choses semblables, payait un florin à la barrière ; chaque voiture d’échalas, planches, douves et autres bois charpentés, 6 gros de Lorraine ; chaque voiture de meubles riches, comme velours, soie, drap fin, 30 gros ; un cheval chargé, 2 gros ; une hotte de marchandises, 1/2 gros ; la charretée de poisson, 1/2 florin ; la charretée de beurre, d’œufs, de fromage, 6 gros ; chaque muid de sel, 6 gros ; chaque rezal de seigle ou de blé, 3 gros ; le rezal d’orge ou d’avoine, 2 ; le cent de fer, 2 ; un bœuf ou une vache, 6 pfénings ; un veau, porc ou brebis, 2 pfénings ; etc.
Ainsi les gens de Phalsbourg ou des environs ne pouvaient manger, boire ou se vêtir, sans payer une somme ronde aux ducs de Lorraine.
Ensuite venait la gabelle, c’est-à-dire que tous les hôteliers, aubergistes et taverniers demeurant à Phalsbourg, ou dans les villages en dépendant, étaient tenus de payer à Son Altesse six pots de vin ou bière, pour chaque mesure encavée ou vendue. Ensuite se touchaient pour Son Altesse les lods et ventes, savoir : à la vente des maisons ou héritages, 5 florins pour 100. Ensuite le mesurage des grains, ce qui signifiait que tous les grains : blé, seigle, orge, avoine, vendus à la halle, devaient un sou par rezal à Son Altesse.
Ensuite se payait l’étalage des foires. On en comptait trois par an : la première, à la Saint-Mathias ; la seconde, à la Saint-Modesty ; la troisième, à la Saint-Gall. Deux sergents visiteurs taxaient les places à tant, pour le bénéfice de Son Altesse.
Ensuite venaient les poids de la ville : pour le cent de laine, farine ou autres marchandises, un sou ; puis les amendes, qui se plaidaient par-devant le prévôt, mais que les conseillers de Son Altesse jugeaient et taxaient à son profit ; puis le droit de glandage et passon ; les droits d’affouage, les droits de foulon et battant ; la grosse dîme, pour les deux tiers à Son Altesse, et pour l’autre tiers à l’Église ; la petite dîme, en blé, pour l’Église seule, mais dont Son Altesse finit par lui retirer la connaissance, parce qu’elle s’aimait encore mieux que l’Église.
Et maintenant, si l’on veut savoir comment tant de braves gens se trouvaient ainsi sous la coupe de Son Altesse, de ses prévôts, baillis, sénéchaux et conseillers, il faut se rappeler qu’environ deux cents ans avant cette grande misère, un nommé Georges-Jean, comte Palatin, duc de Bavière et comte de Weldentz, qui possédait dans notre pays des forêts immenses par la grâce des empereurs d’Allemagne, mais qui ne pouvait en tirer un centime, faute de gens pour les habiter, faute de chemins pour transporter les bois, et faute de rivières entretenues pour les flotter, s’était mis à publier en Alsace, en Lorraine et dans le Palatinat : « que tous ceux qui se sentaient du courage au travail n’avaient qu’à se rendre dans ces bois ; qu’il leur fournirait des terres, et qu’ils vivraient comme coqs en pâte ; – que lui, Jean de Weldentz, faisait cela pour la gloire de Dieu ! Que Phalsbourg étant un grand chemin entre la France, la Lorraine, le Vestrich et l’Alsace, les artisans et commerçants, charrons, maréchaux, tonneliers, cordonniers, y trouveraient un grand débit de leurs marchandises ; comme aussi les serruriers, armuriers, tapissiers, cabaretiers et autres gens industrieux ; – et que l’honneur de Dieu devant commencer toute grande entreprise, ceux qui se rendraient dans sa ville de Phalsbourg seraient exempts de servitudes ; qu’ils pourraient bâtir, et qu’ils auraient le bois gratis ! Qu’on leur élèverait une église, pour y prêcher la pureté, la simplicité, la bonne foi ; qu’on leur construirait une école, pour enseigner aux enfants la vraie religion, attendu que l’esprit de la jeunesse est un jardin excellent, où l’on sème des plantes délicieuses, dont l’odeur s’élève jusqu’à Dieu ! »
Extrait : Et Phalsbourg avait un haut passage, ce qui veut dire que chaque chariot de marchandises, comme drap, laine, ou autres choses semblables, payait un florin à la barrière ; chaque voiture d’échalas, planches, douves et autres bois charpentés, 6 gros de Lorraine ; chaque voiture de meubles riches, comme velours, soie, drap fin, 30 gros ; un cheval chargé, 2 gros ; une hotte de marchandises, 1/2 gros ; la charretée de poisson, 1/2 florin ; la charretée de beurre, d’œufs, de fromage, 6 gros ; chaque muid de sel, 6 gros ; chaque rezal de seigle ou de blé, 3 gros ; le rezal d’orge ou d’avoine, 2 ; le cent de fer, 2 ; un bœuf ou une vache, 6 pfénings ; un veau, porc ou brebis, 2 pfénings ; etc.
Ainsi les gens de Phalsbourg ou des environs ne pouvaient manger, boire ou se vêtir, sans payer une somme ronde aux ducs de Lorraine.
Ensuite venait la gabelle, c’est-à-dire que tous les hôteliers, aubergistes et taverniers demeurant à Phalsbourg, ou dans les villages en dépendant, étaient tenus de payer à Son Altesse six pots de vin ou bière, pour chaque mesure encavée ou vendue. Ensuite se touchaient pour Son Altesse les lods et ventes, savoir : à la vente des maisons ou héritages, 5 florins pour 100. Ensuite le mesurage des grains, ce qui signifiait que tous les grains : blé, seigle, orge, avoine, vendus à la halle, devaient un sou par rezal à Son Altesse.
Ensuite se payait l’étalage des foires. On en comptait trois par an : la première, à la Saint-Mathias ; la seconde, à la Saint-Modesty ; la troisième, à la Saint-Gall. Deux sergents visiteurs taxaient les places à tant, pour le bénéfice de Son Altesse.
Ensuite venaient les poids de la ville : pour le cent de laine, farine ou autres marchandises, un sou ; puis les amendes, qui se plaidaient par-devant le prévôt, mais que les conseillers de Son Altesse jugeaient et taxaient à son profit ; puis le droit de glandage et passon ; les droits d’affouage, les droits de foulon et battant ; la grosse dîme, pour les deux tiers à Son Altesse, et pour l’autre tiers à l’Église ; la petite dîme, en blé, pour l’Église seule, mais dont Son Altesse finit par lui retirer la connaissance, parce qu’elle s’aimait encore mieux que l’Église.
Et maintenant, si l’on veut savoir comment tant de braves gens se trouvaient ainsi sous la coupe de Son Altesse, de ses prévôts, baillis, sénéchaux et conseillers, il faut se rappeler qu’environ deux cents ans avant cette grande misère, un nommé Georges-Jean, comte Palatin, duc de Bavière et comte de Weldentz, qui possédait dans notre pays des forêts immenses par la grâce des empereurs d’Allemagne, mais qui ne pouvait en tirer un centime, faute de gens pour les habiter, faute de chemins pour transporter les bois, et faute de rivières entretenues pour les flotter, s’était mis à publier en Alsace, en Lorraine et dans le Palatinat : « que tous ceux qui se sentaient du courage au travail n’avaient qu’à se rendre dans ces bois ; qu’il leur fournirait des terres, et qu’ils vivraient comme coqs en pâte ; – que lui, Jean de Weldentz, faisait cela pour la gloire de Dieu ! Que Phalsbourg étant un grand chemin entre la France, la Lorraine, le Vestrich et l’Alsace, les artisans et commerçants, charrons, maréchaux, tonneliers, cordonniers, y trouveraient un grand débit de leurs marchandises ; comme aussi les serruriers, armuriers, tapissiers, cabaretiers et autres gens industrieux ; – et que l’honneur de Dieu devant commencer toute grande entreprise, ceux qui se rendraient dans sa ville de Phalsbourg seraient exempts de servitudes ; qu’ils pourraient bâtir, et qu’ils auraient le bois gratis ! Qu’on leur élèverait une église, pour y prêcher la pureté, la simplicité, la bonne foi ; qu’on leur construirait une école, pour enseigner aux enfants la vraie religion, attendu que l’esprit de la jeunesse est un jardin excellent, où l’on sème des plantes délicieuses, dont l’odeur s’élève jusqu’à Dieu ! »
Il promit encore mille autres avantages, exceptions et satisfactions, dont la nouvelle se répandit par toute l’Allemagne, de sorte qu’une foule de gens accoururent pour jouir de ces bienfaits. Ils bâtirent, ils défrichèrent, ils cultivèrent, et mirent les bois de Georges-Jean en valeur ; ce qui ne rapportait rien valut quelque chose !
Histoire d'un paysan I - Erckmann-Chatrian (livre audio) | @ebookaudio

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