En 1648, il y a bien longtemps que les quatre amis ne se sont pas revus. La Fronde menace: d'Artagnan et Porthos sont, sur le conseil de Rochefort (qui n'en est pas moins frondeur) recrutés par le cardinal Mazarin, tandis qu'Aramis et Athos rejoignent les rangs des rebelles. Les deux premiers tentent vainement d'empêcher l'évasion du duc de Beaufort, à laquelle participent les deux derniers. Ceci ne les empêche pas de se jurer une amitié éternelle. Ils se retrouvent dans des camps opposés pendant la guerre civile anglaise. Extrait : Gondy regardait ces hommes de l’obscurité, ces travailleurs nocturnes, avec une certaine épouvante ; il se demandait si, après avoir fait sortir toutes ces créatures immondes de leurs repaires, il aurait le pouvoir de les y faire rentrer. Quand quelqu’un de ces êtres s’approchait de lui, il était prêt à faire le signe de la croix.
Il gagna la rue Saint-Honoré et la suivit en s’avançant vers la rue de la Ferronnerie. Là, l’aspect changea : c’étaient des marchands qui couraient de boutique en boutique ; les portes semblaient fermées comme les contrevents ; mais elles n’étaient que poussées, si bien qu’elles s’ouvraient et se refermaient aussitôt pour donner entrée à des hommes qui semblaient craindre de laisser voir ce qu’ils portaient ; ces hommes, c’étaient les boutiquiers qui ayant des armes en prêtaient à ceux qui n’en avaient pas.
Un individu allait de porte en porte, pliant sous le poids d’épées, d’arquebuses, de mousquetons, d’armes de toute espèce, qu’il déposait au fur et à mesure. À la lueur d’une lanterne, le coadjuteur reconnut Planchet.
Le coadjuteur regagna le quai par la rue de la Monnaie ; sur le quai, des groupes de bourgeois en manteaux noirs et gris, selon qu’ils appartenaient à la haute ou à la basse bourgeoisie, stationnaient immobiles, tandis que des hommes isolés passaient d’un groupe à l’autre. Tous ces manteaux gris ou noirs étaient relevés par-derrière par la pointe d’une épée, par-devant par le canon d’une arquebuse ou d’un mousqueton.
En arrivant sur le Pont-Neuf, le coadjuteur trouva ce pont gardé ; un homme s’approcha de lui.
— Qui êtes-vous ? demanda cet homme ; je ne vous reconnais pas pour être des nôtres.
— C’est que vous ne reconnaissez pas vos amis, mon cher monsieur Louvières, dit le coadjuteur en levant son chapeau.
Louvières le reconnut et s’inclina.
Gondy poursuivit sa route et descendit jusqu’à la tour de Nesle. Là, il vit une longue file de gens qui se glissaient le long des murs. On eût dit d’une procession de fantômes, car ils étaient tous enveloppés de manteaux blancs. Arrivés à un certain endroit, tous ces hommes semblaient s’anéantir l’un après l’autre comme si la terre eût manqué sous leurs pieds. Gondy s’accouda dans un angle et les vit disparaître depuis le premier jusqu’à l’avant-dernier.
Le dernier leva les yeux pour s’assurer sans doute que lui et ses compagnons n’étaient point épiés, et malgré l’obscurité il aperçut Gondy. Il marcha droit à lui et lui mit le pistolet sous la gorge.
— Holà ! monsieur de Rochefort, dit Gondy en riant, ne plaisantons pas avec les armes à feu.
Rochefort reconnut la voix.
— Ah ! c’est vous, monseigneur ? dit-il.
— Moi-même. Quelles gens menez-vous ainsi dans les entrailles de la terre ?
— Mes cinquante recrues du chevalier d’Humières, qui sont destinées à entrer dans les chevau-légers, et qui ont pour tout équipement reçu leurs manteaux blancs.
— Et vous allez ?
— Chez un sculpteur de mes amis ; seulement nous descendons par la trappe où il introduit ses marbres.
— Très bien, dit Gondy.
Et il donna une poignée de main à Rochefort, qui descendit à son tour et referma la trappe derrière lui.
Le coadjuteur rentra chez lui. Il était une heure du matin. Il ouvrit la fenêtre et se pencha pour écouter.
Il se faisait par toute la ville une rumeur étrange, inouïe, inconnue ; on sentait qu’il se passait dans toutes ces rues, obscures comme des gouffres, quelque chose d’inusité et de terrible. De temps en temps un grondement pareil à celui d’une tempête qui s’amasse ou d’une houle qui monte se faisait entendre ; mais rien de clair, rien de distinct, rien d’explicable ne se présentait à l’esprit : on eût dit de ces bruits mystérieux et souterrains qui précèdent les tremblements de terre.
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