Comment, lors du Mardi Gras de 1827, trois compères (Jean Robert le poète, Ludovic le médecin et Pétrus le peintre) font la connaissance de Monsieur Salvator, de son état commissionnaire rue aux Fers et bien plus que cela. Comment ils favorisent les amours du sympathique musicien Justin, et ne négligent pas les leurs propres. Comment nos héros (sans oublier le chien Roland) découvrent la vérité sur l'horrible assassinat, en 1820, de la famille Tardieu. Comment , au service de la Charbonnerie, ils mènent la vie dure aux sbires du roi Charles X, et en particulier au policier Jackal (qui ressemble fort à Vidocq, et qui n'a pas tort de répéter en toute affaire « Cherchez la femme ! »). Comment Salvator règle de vieux comptes avec l'exécrable famille des marquis de Valgeneuse. Comment l'histoire finit par des chansons, et même par un opéra. Tout cela, et bien plus, s'entremêle et se tient parfaitement, avec (entre autres), dans leurs propres rôles, Chateaubriand, La Fayette et Napoléon II. Extrait : Il était onze heures et demie du soir. Encore une demi-heure, et il allait se trouver en face d’un des hommes qui avaient le plus fidèlement servi l’empereur, et qui s’apprêtait encore à le servir plus fidèlement après sa mort que pendant sa vie.
Soit impatience, soit difficulté de supporter la froide atmosphère de février, le jeune homme rentra à onze heures trois quarts à peu près, referma la fenêtre, tira hermétiquement les rideaux, alla s’asseoir sur le canapé, et, laissant tomber son front dans ses mains, médita profondément.
À quoi songeait-il ?
Son enfance, comme le cours monotone d’une rivière, passait-elle devant lui ; ou voyait-il enchaîné à son rocher, le flanc ouvert, les entrailles sanglantes, le Prométhée de Sainte-Hélène ?
Au reste, la chambre qu’il habitait suffisait seule à éveiller tous ses souvenirs.
N’était-ce pas dans cette même chambre qu’avait, par deux fois et à deux époques différentes, habité l’empereur Napoléon : la première fois, nous l’avons dit, en 1805, après Austerlitz ; la seconde fois, en 1809, après Wagram.
Malgré dix-huit ans écoulés, la distribution de l’appartement était restée la même. Il se composait – et se compose encore aujourd’hui – de trois vastes pièces, d’une antichambre et d’un cabinet de toilette, somptueusement décorés de sculptures, de dorures, de tentures de l’Inde, de meubles de laque de Chine, le tout étant contigu aux galeries où se voient les peintures représentant les fêtes et les cérémonies de la cour au temps de Marie-Thérèse et de Joseph II.
Le portrait de l’empereur François de Lorraine, celui de Joseph, de Léopold et de l’empereur régnant, peint dans son enfance auprès de sa mère, décoraient la salle de réception, dans laquelle on remarque une assez belle statue de la Prudence sculptée en marbre.
La chambre du prince était la troisième pièce, et n’avait derrière elle que le cabinet de toilette. – La porte d’entrée faisait face à ce cabinet. – Cette chambre était ornée d’immenses glaces prises dans les panneaux sculptés et dorés. Son ameublement, un peu sombre, mais ne manquant pas d’un certain grandiose, était en soie verte brochée de fleurs jaunes jouant le reflet de l’or ; ces fleurs, fleurs de fantaisie, se rapprochaient, par un singulier hasard, de la forme des abeilles.
Le long des parois latérales, était le canapé dont il a été déjà question dans la mise en scène des chapitres précédents ; le lit était en face de la cheminée surmontée d’une glace.
Ce canapé, Napoléon s’y était assis ; ce lit, il s’y était couché ; cette glace, elle avait reflété les traits du vainqueur d’Austerlitz et de Wagram !
Dans cette simple disposition de l’appartement qu’il habitait, n’y avait-il point, comme nous le disions tout à l’heure, ample matière à réflexions pour le duc de Reichstadt, et les souvenirs qu’elle renfermait du père n’expliqueraient-ils point la rêverie où était tombé le fils ?
Cependant, quelques minutes avant minuit, il parut sortir de sa rêverie, si profonde qu’elle fût, se leva, se promena dans la plus grande longueur de sa chambre avec agitation, se demandant à lui-même :
— Comment viendra-t-il ?
Puis, avec un sourire de doute :
— Viendra-t-il, d’ailleurs ?
Comme il se faisait cette demande, l’espèce de grincement qui précède, dans les pendules, le bruit du timbre se fit entendre, et le premier coup de minuit retentit.
Le jeune homme frissonna : n’attendait-il pas à cette heure une apparition plus impossible, plus fantastique que celle d’un fantôme ?
Il alla s’adosser à la cheminée ; ses jambes tremblaient.
Placé ainsi, il avait à sa gauche la porte d’entrée, donnant dans le salon ; à sa droite, la porte du cabinet de toilette. Ses yeux étaient naturellement tournés vers la porte du salon, le cabinet de toilette n’ayant pas d’issue, visible du moins.
Tout à coup, et au moment où la vibration du douzième coup s’éteignait, il se retourna brusquement.
Il lui semblait qu’un bruit pareil à un craquement venait de se faire dans le cabinet de toilette.
Au bruit de ce craquement succéda celui d’un pas qui semblait se poser avec hésitation sur le parquet.
Le duc, nous l’avons dit, n’attendait et ne pouvait attendre personne de ce côté : le cabinet de toilette n’avait aucune issue.
Cependant, le bruit devenait si sensible, que le jeune homme ne put pas douter de la présence de quelqu’un dans ce cabinet de toilette. Il s’élança vers la porte, mettant instinctivement la main à la garde de son épée, tandis qu’il étendait la gauche sur la tapisserie qui retombait devant cette porte.
Mais, avant que cette main eût eu le temps de la toucher, la tapisserie s’agita, et le duc de Reichstadt fit deux pas en arrière en voyant apparaître entre les deux sombres rideaux la figure pâle d’un homme sortant d’une chambre où il n’y avait pas d’entrée.
— Qui êtes-vous ? demanda le prince en tirant, par un mouvement rapide comme la pensée, son épée hors du fourreau.
L’homme mystérieux fit deux pas en avant, sans paraître s’inquiéter de cette lame nue qui flamboyait à la main du jeune homme, et, mettant avec respect un genou en terre :
— Je suis, dit-il, celui qu’attend Votre Majesté.
— Plus bas, monsieur ! dit le prince, plus bas !
Et, tendant à Sarranti une main que celui-ci couvrit de baisers :
— Plus bas ! et ne prononcez pas ce mot de majesté.
— Et de quel titre m’est-il permis d’appeler l’héritier de Napoléon, le fils de mon empereur ? demanda Sarranti, toujours agenouillé.
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