Comment, lors du Mardi Gras de 1827, trois compères (Jean Robert le poète, Ludovic le médecin et Pétrus le peintre) font la connaissance de Monsieur Salvator, de son état commissionnaire rue aux Fers et bien plus que cela. Comment ils favorisent les amours du sympathique musicien Justin, et ne négligent pas les leurs propres. Comment nos héros (sans oublier le chien Roland) découvrent la vérité sur l'horrible assassinat, en 1820, de la famille Tardieu. Comment , au service de la Charbonnerie, ils mènent la vie dure aux sbires du roi Charles X, et en particulier au policier Jackal (qui ressemble fort à Vidocq, et qui n'a pas tort de répéter en toute affaire « Cherchez la femme ! »). Comment Salvator règle de vieux comptes avec l'exécrable famille des marquis de Valgeneuse. Comment l'histoire finit par des chansons, et même par un opéra. Tout cela, et bien plus, s'entremêle et se tient parfaitement, avec (entre autres), dans leurs propres rôles, Chateaubriand, La Fayette et Napoléon II. Extrait : Camille était si adroit, qu’il en était fort !
Il étudiait Carmélite depuis longtemps, comme un général étudie une place de guerre.
Fallait-il, d’après l’exemple de Malherbe, la prendre par un siège régulier, c’est-à-dire par les mille soins et assiduités dont le poète proclame l’efficacité dans ces vers :
Enfin, cette beauté m’a la place rendue.
Que d’un siège si long elle avait défendue ;
Mes vainqueurs sont vaincus !…
Fallait-il s’en emparer par famine, par vive force, en faisant des tranchées, et en donnant des assauts ?
Non, toute cette stratégie eût échoué.
On ne pouvait vaincre que par surprise.
Camille s’arrêta donc à ce parti, et, cette résolution prise, il attendit froidement l’occasion.
C’était le dernier bouillonnement de son cœur, le dernier désir de son imagination qu’il endormait, — quitte à laisser désirs et bouillonnements se réveiller plus tard, —dans cette pause d un instant qu’il faisait à la porte de Carmélite.
Il entra.
Carmélite avait peu dormi, et avait beaucoup pleuré.
Elle reçut Camille froidement.
Cette réception rentrait dans les plans de Camille.
A partir de ce jour, il s’acharna à mener une vie exemplaire.
Il prit le contre-pied de ses folies et de ses irrégularités passées, et donna à chaque instant des preuves d’une sagesse dont on l’eût cru incapable.
Il affaiblit l’éclat de son enjouement habituel, et, à force de retenue, il devint grave et sérieux.
On comprend quel était le but de Camille.
Il lui fallait effacer du cœur de Carmélite le dernier souvenir de l’absent. Or, comment Camille pouvait-il faire oublier Colomban ? En rendant à la jeune fille toute la gravité, toute la mélancolie, tout l’esprit de règle du Breton, entés sur une affabilité plus grande, et sur une extrême distinction.
Carmélite crut naïvement que cette transformation venait moitié du regret que causait à Camille le départ de son ami, moitié de l’amour qu’il ressentait pour elle.
Son orgueil de jeune fille fut flatté de ce que le jeune homme, dans le seul espoir de lui plaire, faisait violence à son caractère, à ses habitudes, à ses goûts, et jetait au loin ses caprices les plus chers et les plus absolus.
Eh ! Mon Dieu ! Toute jeune fille de dix-huit ans s’y fût trompée de même.
Camille adorait autrefois l’Opéra, et Camille ne mettait plus le pied à l’opéra.
Camille allait régulièrement trois jours de la semaine au manège, et, de là, faire sa promenade au bois : il renonça tout à coup au manège et à la promenade.
Camille avait, dans les hauts quartiers de Paris, cinq ou six amis. Américains comme lui, avec lesquels, de temps en temps, il avait coutume de dîner et de souper : Camille ne sortit plus.
Vingt fois, pendant qu’il était chez Carmélite, on vint sonner ou frapper chez lui ; chaque fois, le créole, malgré les instances de la jeune fille, refusa de s’assurer qui frappait ou qui sonnait.
A l’instar de Carmélite, il voulait vivre dans la solitude et dans le recueillement.
Il avait acheté des livres de botanique ; il ignorait complètement cette science, et avait prié Carmélite de lui en apprendre ce que Colomban lui en avait appris à elle-même.
Maintenant, on nous comprendrait mal si on allait croire que Camille prit froidement ce masque d’hypocrisie pour séduire la jeune fille.
Il l’aimait.
Toutefois, ce mot, appliqué à Camille, n’a pas l’importance du même mot appliqué à Colomban.
Le Breton aimait avec toutes les puissances de son âme ; Camille aimait, lui, avec tous les désirs de son imagination ; seulement, ses désirs étaient plus grands qu’ils n’avaient jamais été.
Entouré jusque-là de femmes à la conquête facile, il était violemment surexcité par la vertu opiniâtre de Carmélite, et il mettait en œuvre toutes les ressources de son esprit pour en triompher, croyant peut-être lui-même n’employer que les séductions de son cœur.
Si Carmélite, au lieu de s’abuser sur ces transformations dont elle s’attribuait la gloire, eût contraint Camille à reprendre son caractère primitif, ses qualités et ses défauts naturels, elle en eût fait peut-être alors, grâce à cet amour ardent qu’il ressentait pour elle, un être loyal et bon, tandis qu’en se laissant tromper par lui, et se trompant elle-même, elle l’encourageait à son insu dans cette voie de mensonge et d’imposture.
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