mardi 8 novembre 2016

Jacquot sans Oreilles - Alexandre Dumas (livre audio) | @ebookaudio

Jacquot sans Oreilles - Alexandre Dumas (livre audio)En voyage en Russie, Dumas fait escale à Makarief pour y visiter le château de Groubenski, l'un des derniers grands seigneurs russes. Intrigué par son histoire, il se fait envoyer le récit du drame conté par Jacquot sans oreilles, récit qu'il nous livre «tel quel». Jacquot a été, à l'heure glorieuse des Groubenski, piqueur au service du prince Alexis-Ivanovitch, le «dernier des boyards», puis de son petit-fils le prince Danilo. Héritier du château en 1828, Danilo veut éclaircir le mystère de la disparition de sa propre mère, la princesse Varvara. 

Extrait : J’avais bien souvent entendu parler, à Saint-Pétersbourg, à Moscou et surtout à Nijni-Novgorod, du prince Alexis-Ivanovitch Groubenski ; on citait de lui des excentricités les plus incroyables ; mais ces excentricités, qui eussent accusé l’humeur anglaise la mieux développée, étaient, même dans leur côté bouffon, obscurcies par je ne sais quel nuage sinistre planant sur cette existence étrange ; on sentait que, quoique à moitié effacée par le temps et par les efforts de ceux qui avaient intérêt à la faire disparaître tout à fait, il existait sur la vie du dernier des boyards, comme on l’appelait généralement dans le gouvernement de Nijni-Novgorod, une de ces taches d’un rouge sombre qui, pareilles à celles que l’on montre sur le parquet de la galerie aux Cerfs de Fontainebleau et du cabinet royal à Blois, dénoncent le sang versé.

Partout, on m’avait dit :
— Si, par hasard, vous vous arrêtez à Makarief, n’oubliez pas de visiter, en face du couvent, de l’autre côté de la Volga, les ruines du château de Groubenski. Surtout, ajoutait-on, n’oubliez pas de demander à voir la galerie des portraits.
Il n’y a que ceux qui ont voyagé avec moi qui peuvent apprécier ma ténacité dans ces sortes de circonstances ; quand je flaire quelque part une légende, une tradition, une chronique, aucune observation, aucune instance, aucune opposition ne peut faire qu’une fois la piste relevée, je ne la suive jusqu’au bout.
Aussi avais-je bien fait promettre au patron du bateau à vapeur que j’avais pris pour me conduire de Nijni à Kazan, de ne pas manquer de m’arrêter à Makarief, qu’il y passât de jour ou de nuit.
En effet, du plus loin que l’on aperçut, je ne dirai pas Makarief – on ne voit pas Makarief de dessus la Volga – mais les murs crénelés du vieux couvent qui s’avance jusqu’au bord du fleuve, le patron, fidèle à sa promesse, vint me dire :
— Monsieur Dumas, apprêtez-vous, si votre intention est toujours de descendre à Makarief ; dans dix minutes, nous y serons.
Dix minutes après, nous y étions effectivement, et, au signe que je lui faisais, un batelier se détachait de la rive gauche de la Volga, et venait me prendre à bord du bateau à vapeur.
Alors seulement, je remarquai qu’un jeune officier russe, avec lequel j’avais échangé quelques paroles pendant notre traversée fluviale, faisait les mêmes préparatifs que moi.
— Descendez-vous par hasard à Makarief, monsieur ? lui demandai-je.
— Hélas ! oui, monsieur ; j’y suis en garnison.
— Voilà un hélas ! peu flatteur pour Makarief.
— C’est un abominable trou, et je me demande comment, n’étant pas forcé d’y descendre, vous y descendez. Que diable avez-vous à faire à Makarief ?
— Deux choses très importantes : j’y viens acheter un coffre et visiter le château de Groubenski, et je vous avoue qu’en vous voyant visiter vos bagages, je me suis réjoui de ce qui vous désespère ; ayant pu apprécier toute votre courtoisie, je me suis dit : « Voilà un guide tout trouvé pour mon achat et pour ma visite. »
— Quant à cela, me dit le jeune officier, vous ne vous êtes pas trompé, et c’est moi qui vous serai reconnaissant de disposer de moi ; les distractions sont rares à Makarief ; vous m’offrez celle de votre compagnie, je l’accepte de grand cœur. C’est le miel que l’on met au bord du vase où l’on fait boire aux enfants une médecine. Maintenant, laissez-moi poser quelques conditions au marché.
— Posez, je les accepte d’avance.
— Vous comprenez que, depuis que la foire a été transportée à Nijni-Novgorod, personne ne s’arrête plus à Makarief.
— Excepté ceux qui viennent y acheter un coffre et visiter le château de Groubenski.
— Oui ; mais ceux-là sont rares. Il n’y a donc plus d’
auberge à Makarief, ou, s’il y en a, c’est pis que s’il n’y en avait pas.

— Ah ! je vous vois venir : vous allez m’offrir la nourriture et le logement ; je suis habitué à ces façons-là en Russie.
— Justement.
— Un autre ferait des façons ; moi, j’accepte.
Je lui tendis la main.
— Ah ! ma foi, dit-il, j’étais loin de me douter d’une pareille chance. Descendez donc, je vous prie. Et, en effet, le bateau qui devait nous transporter à terre venait d’accoster le bâtiment.
Je fis mes adieux au patron du bateau et aux quelques personnes avec lesquelles je m’étais familiarisé pendant mes trois jours de navigation sur la Volga, et j’allai prendre ma place dans le canot
.



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