L'Histoire de l'art est une vaste fresque qui va de la préhistoire jusqu'aux premières années de notre siècle. Commencée en 1909, terminée en 1927, plusieurs fois remaniée, la totale nouveauté de l'entreprise d'Elie Faure a été d'introduire un genre nouveau devenu populaire et indispensable aujourd'hui: le livre d'art.
Extrait: Seulement pas plus en Italie qu’en Flandre, ils ne retrouveront leur cohésion. L’individualisme italien ne sait pas se plier aux exigences d’un ensemble. Quand les arts associés exprimaient une multitude, ils semblaient venir d’un seul. Ils parurent divisés et ennemis quand ils exprimèrent un homme. Tout artiste italien s’intitulait volontiers architecte, sculpteur et peintre. Mais il parlait rarement avec une égale puissance les trois langues qu’il s’attribuait. Même après que l’esprit médiéval eut entraîné dans sa descente la force diffuse qui soulevait sur les villes le monument représentatif de la foi et de la cité, l’Italie ne cessa pas complètement de produire des architectes. La guerre agitait encore les cités républicaines et il fallait toujours au-dessus des dalles des rues ces durs palais rectangulaires, hauts et nus, que Brunelleschi dressa face aux églises ouvragées, pour affirmer, devant l’âme du Nord envahissante, la survivance du latin. Elle forma moins de sculpteurs. Elle vit naître tant de peintres qu’elle parut inventer la peinture et que le souvenir de ce qu’elle fit alors n’a pas encore cessé d’agir sur nous.
La peinture exprimait, dès le XIIIe siècle, l’individualisme italien. Les gothiques siennois, Giotto, Cimabuë faisaient déjà des tableaux d’autel ou décoraient directement les murs, alors que Français et Flamands ne connaissaient que la verrière ou l’enluminure du missel. Quand les peintres italiens, au début du XVe siècle, demandaient aux peintres flamands les secrets de leur technique, c’est qu’ils sentaient que ce langage était toujours fait pour eux. Comme leur génie naturel leur interdisait d’emprunter aux Flamands autre chose que des procédés extérieurs, comme on ne connaissait rien de la peinture antique, ils furent, en tant que peintres, tout de suite eux-mêmes et rien qu’eux-mêmes. S’ils éprouvèrent l’action des sculpteurs et des humanistes, c’est au travers de tant de commentaires et de tempéraments nouveaux qu’elle leur donna plus d’accent.
Les sculpteurs prétendaient, au contraire, s’inspirer des ouvrages anciens. Nicolas Pisano s’entourait de vieux sarcophages. Malgré la force que versaient à ses successeurs, Giovanni, Nanni di Banco, Jacopo della Quercia, Donatello, Ghiberti, les plus ardents foyers de vie sentimentale que le monde ait jamais connus, aucun d’entre eux, quelles qu’aient été la liberté de son inspiration et la verdeur de son langage, aucun n’oublia que sur ce sol, mille ans auparavant, s’élevaient des villes de marbre. Encore enfant, maigre, pauvre, Donatello suivit Brunelleschi à Rome. Ils y vécurent en brigands, les mains durcies par la pioche et le pic, pleins de terre, s’accrochant aux broussailles, aux figuiers sauvages pour escalader les murs, mesurant l’ouverture et l’épaisseur des voûtes, passant des journées dans les ténèbres souterraines des vieux temples engloutis, fous quand ils déterraient une colonne, une statue, quatre ou cinq pierres assemblées… Au retour, ils connaissaient mieux les raisons de leur orgueil.
Histoire de l'art - Tome III : L'Art antique - Élie Faure (livre audio | @ebookaudio
Extrait: Seulement pas plus en Italie qu’en Flandre, ils ne retrouveront leur cohésion. L’individualisme italien ne sait pas se plier aux exigences d’un ensemble. Quand les arts associés exprimaient une multitude, ils semblaient venir d’un seul. Ils parurent divisés et ennemis quand ils exprimèrent un homme. Tout artiste italien s’intitulait volontiers architecte, sculpteur et peintre. Mais il parlait rarement avec une égale puissance les trois langues qu’il s’attribuait. Même après que l’esprit médiéval eut entraîné dans sa descente la force diffuse qui soulevait sur les villes le monument représentatif de la foi et de la cité, l’Italie ne cessa pas complètement de produire des architectes. La guerre agitait encore les cités républicaines et il fallait toujours au-dessus des dalles des rues ces durs palais rectangulaires, hauts et nus, que Brunelleschi dressa face aux églises ouvragées, pour affirmer, devant l’âme du Nord envahissante, la survivance du latin. Elle forma moins de sculpteurs. Elle vit naître tant de peintres qu’elle parut inventer la peinture et que le souvenir de ce qu’elle fit alors n’a pas encore cessé d’agir sur nous.
La peinture exprimait, dès le XIIIe siècle, l’individualisme italien. Les gothiques siennois, Giotto, Cimabuë faisaient déjà des tableaux d’autel ou décoraient directement les murs, alors que Français et Flamands ne connaissaient que la verrière ou l’enluminure du missel. Quand les peintres italiens, au début du XVe siècle, demandaient aux peintres flamands les secrets de leur technique, c’est qu’ils sentaient que ce langage était toujours fait pour eux. Comme leur génie naturel leur interdisait d’emprunter aux Flamands autre chose que des procédés extérieurs, comme on ne connaissait rien de la peinture antique, ils furent, en tant que peintres, tout de suite eux-mêmes et rien qu’eux-mêmes. S’ils éprouvèrent l’action des sculpteurs et des humanistes, c’est au travers de tant de commentaires et de tempéraments nouveaux qu’elle leur donna plus d’accent.
Les sculpteurs prétendaient, au contraire, s’inspirer des ouvrages anciens. Nicolas Pisano s’entourait de vieux sarcophages. Malgré la force que versaient à ses successeurs, Giovanni, Nanni di Banco, Jacopo della Quercia, Donatello, Ghiberti, les plus ardents foyers de vie sentimentale que le monde ait jamais connus, aucun d’entre eux, quelles qu’aient été la liberté de son inspiration et la verdeur de son langage, aucun n’oublia que sur ce sol, mille ans auparavant, s’élevaient des villes de marbre. Encore enfant, maigre, pauvre, Donatello suivit Brunelleschi à Rome. Ils y vécurent en brigands, les mains durcies par la pioche et le pic, pleins de terre, s’accrochant aux broussailles, aux figuiers sauvages pour escalader les murs, mesurant l’ouverture et l’épaisseur des voûtes, passant des journées dans les ténèbres souterraines des vieux temples engloutis, fous quand ils déterraient une colonne, une statue, quatre ou cinq pierres assemblées… Au retour, ils connaissaient mieux les raisons de leur orgueil.

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