Ce récit constitue la suite de -Le Trou de l'Enfer-. En mars 1829, lors d'un bal costumé chez la duchesse de Berry, Julius d'Eberbach, alors ambassadeur de Prusse à Paris, rencontre son vieil ami Samuel Gelb qu'il n'a pas vu depuis vingt ans. La rencontre de Julius vient à point pour Samuel. En effet, celui-ci fait partie d'une société secrète parisienne en liaison avec celle de sa jeunesse, la Tugendbund, et pour accéder aux hautes fonctions dont il rêve depuis longtemps, il a besoin d'argent. Il renoue donc avec Julius afin de s'approprier sa fortune, d'autant que celui-ci, depuis la mort tragique de son épouse Christiane au Trou de l'Enfer, n'a plus d'autre parenté que Lothario, son neveu. Extrait : Que Samuel le sût ou qu’il le soupçonnât seulement, la réalité était que Lothario avait profité de cette belle et radieuse journée d’avril pour faire une de ces heureuses et furtives promenades qu’il risquait souvent depuis l’installation de Frédérique à Enghien.
Ce matin-là, les affaires de l’ambassade expédiées, et jamais secrétaire n’avait reçu plus de compliments pour son exactitude et sa rapidité, Lothario avait donné ordre à son domestique de seller deux chevaux.
Les chevaux prêts, il était sorti, son domestique le suivant.
Toutefois, Lothario n’était pas allé directement à Enghien. Soit pour dépister la surveillance qui pouvait l’épier à sa sortie de l’hôtel et pour qu’on se méprît sur la route par où il allait, soit parce qu’il avait quelque chose à faire auparavant, au lieu de tourner du côté du boulevard, il avait tourné, tout au contraire, du côté du quai.
Suivant alors la Seine jusqu’au quai Saint-Paul, il s’était arrêté à la porte d’un hôtel qui regardait l’île Louviers et le Jardin des Plantes.
Il était descendu de cheval, avait remis la bride à son domestique, et était entré dans la cour de l’hôtel, où, dans ce moment, un fiacre aux stores baissés stationnait, mystérieux, attendant quelqu’un ou cachant quelque chose.
Mais, sans y prendre autrement garde, Lothario avait traversé la cour et avait déjà monté quelques marches de l’escalier, quand un tourbillon roula du haut de l’escalier sans crier gare, brusque, aveugle, irrésistible.
Lothario n’eut que le temps de se ranger, de crainte d’être renversé du choc.
Mais, en arrivant près de lui, le tourbillon s’arrêta subitement.
Ce tourbillon n’était autre que notre ami Gamba.
— Comment ! Gamba, dit Lothario en souriant, c’est vous qui voulez m’écraser ?
— Moi, écraser quelqu’un ! s’exclama Gamba blessé, et surtout un ami ! Ah ! vous m’offensez dans ma souplesse. Voyez comme je me suis arrêté net et court. Un cheval de manège, lancé au galop, n’aurait pas mieux fait. Plutôt que de vous écraser, j’aurais cabriolé sur la rampe, j’aurais bondi au plafond, je vous aurais enjambé sans vous toucher. Vous vous croyez donc plus frêle qu’un œuf, mon cher monsieur, que vous avez peur du roi de la danse des œufs ? Sachez qu’en marchant sur un poulet, mes pieds ne lui procureraient que la sensation d’une douce caresse. Vous écraser !
— Pardon, mon cher Gamba, reprit Lothario. Je n’avais pas l’intention de vous humilier dans votre noble fierté d’artiste.
— Je vous pardonne, dit Gamba. Seulement, vous avez eu tort de vous ranger. C’est mal d’avoir douté de moi.
— Je ne douterai plus, je vous le promets, dit Lothario. Mais que diable faisiez-vous donc à dégringoler du haut de cet escalier, et à vous escrimer avec ces marches ? Vous vous exerciez ?
— Non, je le confesse, dit Gamba embarrassé, ce n’était pas le passe-temps désintéressé d’un quart d’heure donné à l’art ; j’employais l’art aux besoins de la vie. J’usais de mon agilité dans le but égoïste d’arriver plus vite dans la cour. Je faisais… ce qu’on appelle vulgairement descendre les degrés quatre à quatre. Je suis attendu en bas.
— Est-ce que par hasard, demanda Lothario, ce serait pour vous ce fiacre aux stores baissés qui s’impatiente ?
— Un fiacre !… Ah ! oui… peut-être, répondit Gamba, mal à l’aise et confus.
Dieu dispose II - Alexandre Dumas (livre audio) | @ebookaudio
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire