En se rendant à Heidelberg afin d'accomplir une mission pour la Tugendbund, une société secrète aspirant à la liberté du peuple allemand, deux étudiants, Julius d'Hermelindfeld et Samuel Gelb, se retrouvent pris sous un violent orage, près d'un gouffre appelé le Trou de l'Enfer. Guidés par Gretchen, une jeune chevrière assez sauvage, ils trouvent refuge chez le pasteur Schreiber qui habite avec sa fille Christiane et son petit fils Lothario.Appréciés par le pasteur, Julius et Samuel sont invités à revenir lors du prochain week-end. Si Christiane est ravie à l'idée de revoir le tendre Julius pour qui elle éprouve de l'amour, il n'en est pas de même pour le cynique Samuel, envers lequel elle ressent de l'aversion... Extrait : Une masse confuse qui se mouvait aux flancs d’une masse immobile, voilà tout ce que l’œil le plus exercé aux ténèbres eût pu distinguer des deux cavaliers. Par instants un hennissement d’effroi se mêlant au sifflement de la rafale dans les sapins, une poignée d’étincelles arrachées par le fer des chevaux buttant aux cailloux, c’était tout ce qu’on voyait et tout ce qu’on entendait des deux compagnons de route.
L’orage devenait de plus en plus imminent. De grands tourbillons de poussière aveuglaient les voyageurs et leurs montures. Quand l’ouragan passait ainsi, les branches se tordaient et grinçaient ; des hurlements plaintifs couraient au fond de la vallée, puis semblaient, bondissant de rocher en rocher, escalader la montagne chancelante et comme prête à crouler ; – et, à chaque fois qu’une pareille trombe montait de la terre au ciel, les rocs ébranlés sortaient de leurs alvéoles de granit et roulaient avec fracas dans les précipices ; et les arbres séculaires, déracinés, s’arrachaient à leur base, et, comme des plongeurs désespérés, se lançaient la tête la première dans l’abîme.
Rien de plus terrible que la destruction dans l’obscurité, rien de plus effrayant que le bruit dans l’ombre. Quand le regard ne peut calculer le danger, le danger grandit démesurément, et l’imagination épouvantée brandit au-delà des limites du possible.
Tout à coup le vent cessa, les rumeurs s’éteignirent, tout se tut, tout resta immobile ; la création haletante attendait l’orage.
Au milieu de ce silence, une voix se fit entendre, c’était celle de l’un des deux cavaliers :
— Pardieu ! Samuel, disait-il, il faut avouer que tu as eu une malencontreuse idée de nous faire quitter Erbach à cette heure et par ce temps. Nous étions dans une auberge excellente, et comme nous n’en avions pas rencontré peut-être depuis huit jours que nous avons quitté Francfort. Tu avais le choix entre ton lit et la tempête, entre une bouteille d’excellent hochheim et un vent près duquel le siroco et le simoun sont des zéphyrs, et tu prends la tempête et le vent !… Holà ! Sturm ! interrompit le jeune homme, pour maintenir son cheval qui faisait un écart, holà !… Encore, continua-t-il, si nous allions à quelque charmant rendez-vous, où nous dussions trouver tout à la fois et le lever de l’aube, et le sourire d’une bien-aimée ! Mais la maîtresse que nous allons rejoindre, c’est une vieille pédante qu’on appelle l’Université d’Heidelberg. Le rendez-vous qui nous attend, c’est probablement un duel à mort. En tout cas, nous ne sommes convoqués que pour le 20. Oh ! plus j’y pense, plus je trouve que nous sommes de véritables fous de ne pas être restés là-bas, clos et couverts. Mais je suis ainsi fait ; je te cède toujours ; tu vas devant, et je te suis.
— Plains-toi donc de me suivre ! répondit Samuel avec un accent quelque peu ironique, quand c’est moi qui éclaire ton chemin. Si je n’avais pas marché devant toi, tu te serais déjà brisé dix fois le cou en roulant du haut en bas de la montagne. Allons, rends la main, et assure-toi sur tes étriers ; voilà un sapin qui barre la route.
Il se fit un instant de silence, pendant lequel on entendit l’un après l’autre le double bondissement de deux chevaux.
— Houp ! fit Samuel. Puis, se retournant vers son compagnon :
— Eh bien ! dit-il, mon pauvre Julius ?
— Eh bien ! dit Julius, je continue à me plaindre de ton entêtement, et j’ai raison : au lieu de suivre le chemin qu’on nous indique, c’est-à-dire de côtoyer la petite rivière de Mumling, qui nous aurait conduits directement au Neckar, tu prends un chemin de traverse, prétendant que tu connais le pays, quand tu n’y es jamais venu, j’en suis sûr. Moi, je voulais prendre un guide. – Un guide ! pourquoi faire ? Bah ! je connais le chemin. – Oui, tu le connais si bien, que nous voilà perdus dans la montagne, ne sachant plus où est le nord, où est le midi, ne pouvant avancer ni reculer. Et maintenant nous en avons jusqu’au matin à recevoir la pluie qui se prépare, et quelle pluie !… Tiens, voilà les premières gouttes… Ris donc, toi qui ris de tout, à ce que tu prétends, du moins.
Le Trou de l'Enfer - Alexandre Dumas (livre audio) | @ebookaudio
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