Le thème dominant de ce recueil est l'incompréhension entre les humains, au travers d'une peinture de la société russe avec ses idées toutes faites, ses préjugés, ses rigidités. «Une banale histoire» : Un professeur de médecine, reconnu et absorbé par son métier, analyse ses relations avec sa femme et ses enfants. Il n'y trouve pas de grandes satisfactions. Il se sent réduit à ses titres et à son grade qui le limitent à des relations de hiérarchie dans son métier ou à des apparences dans la vie sociale, sans lui donner les moyens de changer les choses... «Le voyageur de 1re classe» est un ingénieur qui se désole d'être moins reconnu que les vedettes de variété, les brigands.. Dans «La Linotte», un professeur de médecine plein d'avenir épouse une femme qui se plaît dans les milieux artistes. La lune de miel ne dure guère. Cette femme ne commencera à prendre conscience de l'importance de son mari que lorsque celui-ci meurt. «La Dame au petit chien» conte une aventure amoureuse entre un homme et une femme en villégiature à Yalta. Cela ne devrait être qu'une passade sans suite, mais quelque chose fait qu'il n'en est rien. C'est le contre-exemple du thème principal, ici le courant passe, sans qu'on sache comment ni pourquoi. «Anne au cou» : un vieil homme riche épouse une jeune fille pauvre. C'est une description des rapports de force dans le couple. Naturellement, la force est au début du côté du mari qui contrôle l'argent. Bientôt le rapport s'inverse. Mais ceci n'altère en rien le vide des relations entre l'homme et la femme. «Un Désagrément» est la description d'un hôpital, avec son médecin qui manque de moyens et qui se heurte au personnel sous sa responsabilité. L'infirmier boit, la sage-femme est souvent absente, les règles élémentaires d'hygiènes ne sont pas respectées. Quand le médecin gifle l'infirmier, l'art du pouvoir est de noyer le poisson, de tout laisser en place et de ne rien régler. «On ne cache pas un aiguille dans un sac» est une petite histoire sur le thème de savoir qui trompe qui. Est-ce le policier qui, incognito, sur l'information d'une lettre anonyme, veut surprendre un trafic? Est-ce le conducteur de la troïka qui, ingénument, raconte que tout le monde est au courant que le policier arrive? «Une fois par an», c'est le jour de fête d'une vieille princesse. Les invités sont attendus, personne ne vient. Le domestique en est réduit à payer un neveu de la princesse pour que celui-ci daigne se déplacer. «Volodia» est un lycéen sans réussite dans ses études. Il ressent ses premiers émois amoureux pour une amie de sa mère. Celle-ci se débarrasse de lui comme d'un gamin et en plaisante avec la mère. Volodia trouve finalement un revolver et se suicide.Extrait: Je lis des revues, des thèses, ou je prépare le cours suivant. Parfois j’écris quelque chose. Je travaille avec interruption, car il me faut recevoir des visiteurs.
On sonne. C’est un de mes collègues venu pour affaires. Il entre avec son chapeau et sa canne, me salue en les tenant, et dit :
– Je ne viens que pour une minute. Restez assis, collègue, je n’ai que deux mots à vous dire.
Nous nous efforçons de nous démontrer avant tout que nous sommes tous les deux extraordinairement polis et très contents de nous voir. Je le fais asseoir dans un fauteuil, et il me fait asseoir, puis nous nous passons l’un l’autre la main sur la taille, touchons nos boutons, et on dirait que nous nous tâtons l’un l’autre, craignant de nous brûler. Nous rions tous les deux, bien que nous ne disions rien de risible. Assis, nous nous penchons l’un vers l’autre et nous mettons à causer à mi-voix. Aussi peu cordialement soyons-nous disposés l’un pour l’autre, nous ne manquons pas de dorer nos paroles de toute sorte de chinoiseries, comme : « Vous avez daigné justement remarquer », ou : « Comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire. » Et nous ne pouvons faire que de rire si l’un de nous risque un jeu de mots, même mal venu. Ayant fini de parler de son affaire, mon collègue se lève précipitamment, et remuant son chapeau en montrant mon travail, commence à prendre congé. Nous nous tapotons à nouveau l’un l’autre, et nous rions. Je l’accompagne dans l’antichambre. J’aide mon collègue à mettre sa pelisse, mais il se défend vivement de ce grand honneur. Ensuite, quand Iégor lui ouvre la porte, il m’assure que je vais m’enrhumer, et moi je fais mine que je suis prêt à l’accompagner jusque dans la rue. Et lorsqu’enfin je rentre dans mon cabinet, mon visage continue encore à sourire, sans doute par force acquise. Peu après, nouveau coup de sonnette. Quelqu’un entre dans l’antichambre, quitte longuement son manteau et tousse : Iégor m’annonce un étudiant. Je dis de le faire entrer. Une minute après m’arrive un jeune homme d’agréable tournure. Il y a déjà un an que nous sommes, lui et moi, en relations tendues. Il me répond de façon très faible aux examens et je lui mets des un. De ces gaillards que, dans la langue d’école, je retape ou fais sécher, il en vient par an sept chez moi. Ceux d’entre eux qui échouent par incapacité ou par maladie portent ordinairement leur croix avec patience et ne barguignent pas. Ne barguignent et ne viennent me trouver que les sanguins, les jeunes gens d’une nature généreuse, auxquels l’échec gâte l’appétit et qu’il empêche de suivre régulièrement l’Opéra. Pour les premiers, je suis gentil. Les seconds, je les traque toute l’année.
Une banale histoire - Anton Pavlovitch Tchekhov (livre audio) | @ebookaudio
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